La loi du déséquilibre — Critique de A Big Bold Beautiful Journey (Kogonada)
Illustration : Affiche officielle. Droits réservés à leurs propriétaires.
Sous la comédie, une expérience
Sous les dehors frivoles d’une comédie romantique, A Big Bold Beautiful Journey de Kogonada dissimule une expérience plus secrète.
Le film n’avance qu’en apparence sur le sable léger du sentiment ; à mesure que la marée du temps se retire,
il révèle la matière mouvante d’une gravitation intime. Tout semble y obéir à une loi invisible :
les êtres s’attirent, se repoussent, se cherchent comme deux particules conscientes, soumises à une force qu’ils pressentent sans la comprendre.
Romance et gravité
David et Sarah ne voyagent pas, ils oscillent. Leur voiture glisse sur des routes qui ressemblent à des courbes de temps,
traversant un champ magnétique de souvenirs. Leurs paroles, leurs silences, leurs hésitations
tracent la trajectoire d’un champ où le passé ne disparaît pas, mais se redépose sous une autre forme :
il ne s’agit plus de raconter un amour, mais d’observer comment un souvenir devient énergie.
« Je préfère avoir peur avec toi, que ne rien ressentir tout seul. »
Cette phrase condense la loi du film : entre la stabilité du vide et l’instabilité du lien, la vie choisit le déséquilibre.
Aimer, ici, c’est accepter la turbulence comme unique forme d’ordre.
Mise en scène : laboratoire du sentiment
Kogonada filme cette instabilité avec la précision d’un expérimentateur. Chaque plan prolonge le précédent, formant une onde continue :
rien n’est brusque, tout procède par infimes décalages — lumière qui change d’inclinaison, lenteur d’un geste, respiration d’un silence.
La musique de Joe Hisaishi, presque imperceptible, agit comme un spectroscope émotionnel :
elle révèle des intensités que l’œil ne saisit pas et maintient le film en tension, entre mémoire et lumière.
Une fin tenue dans le mystère
Au bout du voyage, tout semble sur le point de s’éclaircir — ou de s’éteindre.
Une porte s’entrevoit, peut-être la dernière, peut-être une autre. Le monde paraît retenir son souffle.
Rien ne le dit. Seul le spectateur connaîtra cette impression trouble que quelque chose va se produire,
ou vient à peine de se produire, dans le silence suspendu entre deux battements du cœur.
Conclusion
En définitive, A Big Bold Beautiful Journey n’est pas seulement un récit amoureux :
c’est l’observation de la physique du lien, la dérive lente de deux êtres à travers les champs de la mémoire et du temps.
On quitte le film avec la sensation d’avoir perçu, non une fiction, mais une loi du monde :
que l’amour, à sa fréquence la plus pure, ne cherche pas à se conclure, mais à persister dans la vibration de ce qu’il effleure.
La note de votre humble serviteur : 4 sur 5 ★★★★☆

Zola Ntondo
Éditeur en chef